La lettre qui suit a été rédigée par Théo, le frère de Vincent Van Gogh. Il fait part ici de ses inquiétudes quant à La Nuit Étoilée qui, selon lui, pourrait fortement affecter l'état mental déjà instable de son frère.


Mon cher Vincent,
Il y a bien bien longtemps que j’aurais dû t’écrire mais je ne pouvais pas formuler mes idées. Il y a des moments qu’on sent bien, mais où il est si difficile de se rendre compte de ce qui, dans la pensée, a pris corps et ce qui est encore à l’état vague. Aussi ne suis je pas sûr, de pouvoir t’écrire comme je le voudrais, aujourd’hui, mais ma lettre partira tout de même, si ce n’était pour te dire, que nous pensons souvent à toi et que tes derniers tableaux m’ont donné beaucoup à penser sur l’état de ton esprit quand tu les a faits. Il y a dans tous une puissance de couleurs que tu n’avais pas encore atteint, ce qui constitue déjà une qualité rare, mais tu es allé plus loin & s’il y en a qui s’occupent de chercher le symbole à force de torturer la forme, je le trouve dans beaucoup de tes toiles par l’expression du résumé de tes pensés sur la nature et les êtres vivants, que tu y sens si fortement attachés. Mais comme ta tête doit avoir travaillé et comme tu t’es risqué jusqu’à l’extrême point où le vertige est inévitable. Pour cela mon cher frère, quand tu me dis que tu travailles de nouveau, ce qui me réjouit d’un côté parce que tu y trouves de quoi éviter l’état où tombent beaucoup des malheureux qui sont soignés dans la maison où tu es, j’y pense avec un peu d’inquiétude, car avant ta guérison complète il ne faut pas te risquer dans ces régions mystérieuses qu’il parait que l’on peut effleurer mais non pénétrer impunément. Ne te donnes pas plus de mal qu’il ne le faut car si tu ne fais qu’un simple récit de ce que tu vois, il y a des qualités suffisantes pour que tes toiles restent. Penses au natures mortes & aux fleurs que faisait Delacroix quand il allait à la campagne chez G. Sand. Il est vrai qu’après il a eu une réaction en faisant l’éducation de la vierge, et il n’est pas dit qu’en faisant comme je te le dis tu ne feras pas un chef d’oeuvre après. Mais diriges tes travaux de façon à ce qu’ils ne te surmènent pas.[...]Gauguin est parti à Pont Aven il y a une quinzaine de jours, il n’a donc pas vu tes tableaux. Isaacson aime beaucoup ton dernier envoi. Je te renverrai la chambre à coucher, mais tu ne devais pas retoucher à cette toile ci, cela peut se réparer. Copie la et renvoie alors celle ci pour que je la fasse rentoiler. La vigne rouge est bien belle, je l’ai accrochée dans une de nos chambres. J’aime beaucoup aussi la figure de femme en hauteur, il y avait ici un nommé Polack qui connait bien l’Espagne et les tableaux là-bas. Il disait que c’était beau comme un des grands Espagnols. Bonne santé & bonne poignée de mains de Jo & de

Théo

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